Du design graphique à l’art plastique, il n’y a qu’un pont. Et elle le traverse dès que ses projets à l’agence sont bouclés, comme on va se balader pour se régénérer. Graphic Designer depuis plus de 13 ans, Julie Télot fait évoluer son talent dans la sculpture. Après avoir fait danser typos, traits et teintes, elle laisse courir ses mains et ses pensées sur l’argile, pour le simple plaisir du beau. Le jury du Samudra Art Prize 2022 a été conquis par sa sensibilité : Julie a décroché, en juin 2022, le Best Amateur Artist Award.
Primée parmi 600 œuvres, la Traversée que signe Julie se présente comme une lecture lumineuse et pleine d’espoir du drame du Wakashio et des années dures qui ont suivi. Créée en trois temps, sur trois ans, l’oeuvre est une sorte de triptyque réinventée. Si elle s’inspire de la mer, elle raconte en vérité l’aventure humaine. « La mer a des hauts, des bas, ses humeurs, ses nuances… Tu les comprends à force de la contempler. Et tu te rends compte que cette mer, finalement, est un reflet de nous-même », confie Julie.
C’est en juillet 2020, lorsque des taches d’huile se répandent sur le bleu turquoise, que s’ébauche la Traversée. Julie se plonge dans la terre glaise pour exprimer son chagrin. Il en ressort Emerger, un cri de cœur, un appel à la solidarité. « Le temps était à l’action, pour sortir de l'eau, au soleil, et briller ensemble pour une cause plus grande que nous, » dit-elle.
En 2021, sa réflexion évolue. C’est le temps de Renaître. « Le drame passé, il fallait accepter toute l'horreur et la beauté de notre condition humaine et écologique pour choisir un nouveau système de croyances, une nouvelle perspective et une nouvelle identité. Cela signifiait donner naissance à un nouveau moi. »
Et en 2022, vient Respirer, la touche finale. « Parce qu’il n'a jamais été aussi difficile pour l'environnement et les humains de Respirer. L'oxygène n'a jamais été aussi rare, à cause de la pollution, à cause du COVID-19. Les systèmes vitaux s'arrêtent, le cœur se brise, l'œil se dérègle, l'utérus se déchire. La mort rode partout… »
Le Samudra Art Prize est une occasion de partager la Traversée au grand public. Sa sculpture vient d’être achevée lorsqu’arrive ce concours ; elle répond au thème - Our Amazing Corals - et cette initiative invitant les artistes mauriciens à sensibiliser aux écosystèmes coralliens plait à Julie. Son appel à « réapprendre à respirer » a l’effet d’une bouffée d’air frais sur le jury.
L’activité de sculptrice de Julie commence en 2020, par un coup de foudre au Musée du Louvre. Elle se perd dans les allées et échoue en Mésopotamie. Au milieu des artefacts de l’ancienne civilisation d’Afrique du Nord-Est, elle découvre la céramique nubienne. Terre des pharaons, la Nubie était réputée pour son savoir-faire dans le travail de l’or, pour encens et la poterie. Julie est subjuguée par la pureté de la géométrie de ces pièces d’art.
La tête encore pleine de cette émotion, elle s’essaie à la poterie quelques mois plus tard. Et c’est le déclic. « Au contact de la terre, j’ai éprouvé un plaisir et une légèreté incomparables », dit-elle. En un rien de temps, elle transforme rien de moins que sa cuisine en atelier, son espace de liberté. Tout naturellement, elle choisit Nubia pour signer ses objets décoratifs. « C’est un bonheur d’avoir ma propre marque, mais surtout de créer sans appréhension ou pression, sans porter aucun jugement sur soi ou le sujet. »
Derrière ses fines lunettes rondes, Julie a les yeux qui s’illuminent lorsqu’elle raconte Nubia. Le Samudra Art Prize lui a permis de mieux se dire, d’être plus pleinement l’artiste qu’elle veut être. Ce n’est qu’une étape. Dans une traversée qui continue.